Nils Jacket Contre l'Agent X, le site officiel des Enquêtes de Nils Jacket

Paragraphe 108

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Des images tournoient devant vous à toute vitesse, comme dans un kaléidoscope cauchemardesque : le Chicago Ace, Dédé le clochard, les eaux du fleuve, votre vol au-dessus du vide, la fille aux cheveux bleus... Brusquement, vous vous réveillez en sursaut. Vous êtes allongé sur une table recouverte d'une nappe en papier blanc, abondamment tachée de sang séché. Vous vous trouvez dans une petite pièce sombre, chichement éclairée par de grosses lampes de bureau. Il ne fait pas très chaud, mais on vous a protégé du froid au moyen d'une couverture de survie. A côté de la table, sur un tabouret de bar est posé un plateau métallique contenant plusieurs ustensiles de chirurgien : scalpel, bistouri, etc. La peinture aux murs s'écaille de partout ; si vous êtes dans une salle d'opération, les hôpitaux suisses ont moins de moyens qu'on peut le penser !

- Vous vous réveillez enfin, dit une voix féminine mélodieuse bien qu'étouffée. Tous ces efforts n'ont donc pas été vains.

Vous vous tournez vers la personne qui a parlé, assise sur une chaise dans le fond obscur de la salle. Elle se lève et vient à vous. A en juger par la taille fine et gracieuse que vous devinez aisément sous sa blouse de médecin, vous avez affaire à une demoiselle. Ce qui se confirme quand vous découvrez son visage, celui d'une belle jeune femme de vingt ans à peine, de type asiatique. Elle porte un masque chirurgical autour du cou, mais elle l'a baissé, ce qui vous permet de distinguer ses traits juvéniles. Elle devait porter la charlotte posée sur le bureau à côté d'elle, mais pour l'heure elle est tête nue, et vous pouvez voir qu'elle a de très long cheveux noirs, ramenés en une queue de cheval qui lui descend jusqu'aux reins.

- Vous pouvez vous lever ? veut-elle savoir.

Vous vous asseyez sur le bord de votre table d'opération improvisée. Vous sentez une petite gêne sur votre flanc gauche. Sans vous demander votre avis, la jeune asiatique relève votre chemise maculée de sang et examine votre blessure. Cette dernière a été recousue, avec du fil grossier, mais très proprement.

- J'ai un peu utilisé le premier fil qui passait, confesse-t-elle, mais il fallait arrêter l'hémorragie au plus vite. Vous aviez perdu déjà beaucoup de sang et je n'avais aucun moyen de pratiquer de transfusion. Heureusement, Dédé avait bien appuyé sur le point de compression avant de vous amener ici. Il vous a sauvé la vie en faisant ça : votre anémie était légère.

- Il m'a surtout sauvé la vie en m'amenant à vous plutôt que de me laisser crever comme un chien dans la rue.

- Il m'a réveillée au beau milieu de la nuit. Nous vous avons installé ici, dans mon "cabinet itinérant", en catastrophe. Je vous ai opéré comme je pouvais. La balle vous a traversé sans toucher aucun organe vital, j'ai donc pu suturer toute seule. Je vous ai protégé du froid avec une couverture de survie et je vous ai laissé dormir toute cette matinée, en espérant que votre sang se renouvellerait suffisamment. Il semblerait que c'est le cas. Vous êtes de constitution plus robuste que votre physique ne le laisse penser.

- Suis-je si gringalet ? ironisez-vous.

Pour la première fois, votre sauveuse laisse échapper l'esquisse d'un sourire, qu'elle corrige aussitôt pour reprendre son air sérieux. Vous devinez qu'elle a déjà dû en voir de vertes et de pas mûres dans sa vie, et l'humour doit être chose presque incongrue en ces lieux.

- J'ai vu que vous aviez des coupures au niveau du thorax, poursuit-elle en faisant mention à la blessure causée par votre crucifix. Ça a cautérisé dans la nuit. Sinon, vous avez pas mal d'ecchymoses, mais aucune fracture. Vous n'êtes peut-être pas gringalet, mais vous êtes un chanceux. Dédé m'a dit que vous étiez également tombé d'un pont, c'est ça...?

- C'est ce qu'il m'a dit.

- Euh... Vous devriez le savoir mieux que moi, non ?

- Je ne me souviens de rien, lâchez-vous brutalement. J'ai tout oublié.


Surprise sur le coup, la toubib clandestine reste sans voix quelques secondes, avant de s'excuser. Mais vous sentez qu'elle a du mal à vous croire. Pour la convaincre, vous lui racontez votre "réveil" hier soir (en éludant vos péripéties au Chicago Ace) et les symptômes de votre amnésie. Ayant un médecin sous la main, c'est l'occasion pour avoir des précisions sur vos possibilités de guérison.

- Vous souffrez d'une amnésie rétrograde, diagnostique-t-elle. Elle peut être due au choc de votre chute.

- Comment se soigne-t-elle ? vous enquérez-vous, plein d'espoir.

- Je ne connais aucun remède. Il faut en général un choc émotionnel au malade pour lui rendre la mémoire. Je vous conseille de visiter des lieux où vous êtes déjà allé. Un souvenir vous reviendra peut-être. Je ne peux pas vous dire mieux, je ne suis qu'une simple étudiante en médecine.

C'est alors que vous réalisez que vous en savez finalement très peu sur cette jeune femme que le hasard a placé sur votre chemin. Vous lui demandez de vous parler un peu d'elle. D'abord réticente, elle finit par se livrer. Elle répond au doux prénom de Liddary et exerce illégalement, pour financer ses études. Elle récupère du matériel et des médicaments à son école pour s'occuper de ses patients, les exclus invisibles de Genève. Depuis qu'elle a commencé ce travail au noir, le bouche-à-oreille a fonctionné à plein dans les bas-fonds. La rumeur s'est répandue qu'une jeune doctoresse du Sud-Est Asiatique soignait les pauvres gens et, très vite, beaucoup sont venus la consulter. Sa renommée fut vite faite dans l'underground genevois ; tous l'appellent "la Docteur Viêt".

- Ils viennent me voir pour des grippes ou des intoxications alimentaires, parfois pour des plaies, suite à des rixes d'ivrognes. Vous êtes déjà la deuxième blessure par balle que je soigne... Je me doute bien que ceux qui font appel à mes services ne sont pas tous d'honnêtes gens, mais, globalement, je les trouve très gentils et reconnaissants, à l'image de notre ami Dédé le clochard, un brave homme. Au début, je faisais ça pour l'argent, pour payer mes études. Maintenant, quand je lis toute cette détresse dans les yeux de mes patients, et leur joie lorsque j'ai réussi à les guérir, je ne sais pas si j'arrêterai un jour cette mission que la vie m'a confiée. Une mission éreintante, je vous le concède, mais jamais je ne me suis sentie aussi utile.

- C'est normal que tous ces gens vous admirent. Vous êtes un peu leur héroïne. Mais vous paient-ils suffisamment pour financer vos études ? Et avez-vous assez de temps pour suivre vos cours, avec ce surcroît de travail ?

- La pratique est la meilleure des écoles, je trouve. Mes patients me paient généralement peu, car ce sont souvent des gens qui n'ont justement pas les moyens d'aller chez d'autres médecins, plus onéreux. Mais les membres de la pègre que je soigne, eux sont plus généreux, donc ça compense.

- Vous ne vous embêtez pas avec la morale ?

- La morale de ceux qui enfreignent la loi n'est pas pire, parfois, que ceux qui la font. Parmi mes malades, il y a un certain nombre de sans papiers, qui n'osent pas se rendre à l'hôpital, de peur d'être arrêtés et expulsés. Bien que Genève soit une ville cosmopolite assumée, au niveau fédéral l'extrême droite est électoralement très puissante... Rien que mes yeux bridés sont mal vus...

- Vous brossez un tableau bien noir...

- C'est comme ça que je ressens les choses. Mes parents sont des réfugiés, il est dur de se sentir chez soi quelque part dans ce genre de situation. J'ai commencé des études de médecine à Vientiane, avant que nous ne devions fuir le pays. Mes patients me paient peu, mais ne disposant d'aucuns moyens, je n'ai que ce job pour joindre les deux bouts.

- Vous venez de Vientiane ? vous étonnez-vous. C'est la capitale du Laos, pourtant, pas du Viêt-Nam. Pourquoi vous appelle-t-on la "Docteur Viêt" ?

- Bien vu, vous sourit-elle, surprise et visiblement ravie. Vous êtes le premier à connaître mon pays, on dirait.

Ses joues s'empourprent légèrement alors qu'elle tente de cacher son sourire timide. Pour la première fois, Liddary vous donne plus l'air d'une femme que d'un docteur. Vous vous mettez debout et vous vous rebraillez, puis vous récupérez votre parka, posée sur le dossier d'une chaise. Vous vérifiez discrètement qu'aucune de vos affaires ne manque, ce qui est le cas. Vous vous sentez suffisamment rétabli pour repartir (blanchissez toutes vos cases Santé). Votre sauveuse vous conseille néanmoins d'être prudent :

- L'hygiène n'est pas fabuleuse dans ce cabinet de fortune ; il faudra que vous nettoyiez bien la plaie. Elle peut se rouvrir en cas d'effort physique intense. Je suis navrée de ne rien avoir pu faire pour votre mémoire...

- Vous avez déjà fait énormément, la coupez-vous tout de suite.

- Si ça peut vous aider à reconstituer le puzzle de votre identité, sachez que vous avez une cicatrice au bas du dos, au-dessus de la fesse droite. Une ancienne blessure du passé.

- Oh, mais vous m'avez déshabillé et reluqué, si je comprends bien !

- Non !! proteste-t-elle, encore plus rouge d'embarras. Je situais juste la cicatrice par rapport à votre anatomie et je...

Elle s'interrompt, consciente de s'enfoncer davantage. Vous riez de bon c?ur, pour la première fois depuis votre "réveil". Bien qu'horriblement gênée, elle ne peut s'empêcher de sourire.


En prenant la direction de la porte, vous lui promettez de lui revaloir son aide. En faisant mine de se racler la gorge, elle précise qu'elle a l'habitude d'être payée pour ses interventions.

- J'ai vu ce que vous transportiez sur vous. Le pistolet et votre portefeuille. Je prendrai 40FS pour l'opération et pour mon silence.

C'est une redoutable négociatrice, et qui ne manque pas de cran, vu qu'elle vous sait armé.

- Dédé m'a dit que vous étiez quelqu'un de bien. Je lui fais plus confiance qu'aux journaux, et je suis encline à le croire. Néanmoins, sachez que derrière cette porte se trouvent de nombreux patients en attente, qui interviendront si vous cherchez à me faire du mal.

- Les journaux ? Qu'ont-ils à voir avec moi ?

- J'ai vu que la Tribune de Genève de ce matin faisait ses gros titres sur un meurtre commis hier soir au bar le Chicago Ace. Un portrait-robot du principal suspect y est publié et, bien que vague, il correspond étrangement à votre description. Vous ne donnez pas l'impression d'être un meurtrier, mais peut-être n'est-ce pas un hasard si vous ne vous rappelez ni ce que vous avez fait hier soir, ni qui vous a tiré dessus...


Quelle suite donnez-vous à son offre ?

Si vous la payez sans rechigner, rendez-vous au 215.

Si vous pensez qu'elle bluffe au sujet de ses patients en attente, vous pouvez la menacer pour vous assurer son silence ; rendez-vous pour cela au 362.

Si vous voulez la convaincre que vous êtes réellement amnésique et qu'elle doit vous aider, rendez-vous au 408.