Paragraphe 702
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Vous prenez vos quartiers dans cette mansarde chichement meublée du deuxième étage. Vous verrouillez la porte derrière vous et laissez la clef dans la serrure, pour empêcher quelqu'un qui aurait le double de s'introduire ici. Si vous avez dormi ici la nuit dernière et avez laissé des affaires dans le placard, vous les retrouvez intactes ; nul n'y a touché. Après une bonne douche, vous vous glissez dans votre lit.
Dans cette petite pièce froide, vous vous sentez si seul, abandonné. Alors que votre esprit s'abandonne au sommeil, vous ne pouvez vous empêcher de vous interroger. Comment vivrez-vous si vous ne parvenez jamais à vous rappeler qui vous êtes ? N'y a-t-il donc personne qui vous a jamais connu sur cette Terre, ne serait-ce que votre nom ? Et si c'était bien vous le meurtrier de Vogel ? Pourriez-vous vivre avec ce poids sur la conscience ? Vous luttez de toutes vos forces contre cette idée, tant vous vous sentez incapable d'être un criminel. Pourtant, vous vous y connaissez en armes, et vous en aviez une dans la main lundi soir. Si c'est vous qui avez refroidi le patron du Chicago Ace, ne vous aurait-on pas contraint de le faire ? Vous étiez peut-être en état de légitime défense...?
Votre fatigue est telle que, sans vous en rendre compte, vous vous endormez. Les images ne cessent pas pour autant de défiler dans votre tête. Vous revoyez le pistolet avec silencieux, le Browning. Il est posé par terre, sur un sol carrelé. Vous vous jetez à terre pour vous en saisir et vous faites feu dans la foulée. Plusieurs coups. Vous ouvrez brusquement les yeux. Vous réalisez que vous vous étiez endormi et que vous étiez en train de rêver. Mais pas n'importe quel type de rêve. Cette scène où vous ramassez ce pistolet... c'était un nouveau flash-back !
D'ailleurs, ne voilà-t-y pas que vous voyez à présent le visage de votre assaillant. Celui sur qui vous venez de faire feu avec le Browning. Ça y est, vous vous en rappelez, c'était donc lui ! Tout devient clair maintenant ! Vous revisualisez toute la scène. Il vous a tiré dessus, vous avez riposté. Mais comment cela se fait-il que vous voyiez encore son visage maintenant alors que vous êtes réveillé, les yeux ouverts ?
Vous mettez une seconde de trop pour réaliser ce qui se passe. Une seconde dont votre ennemi tire parti pour vous abattre, d'une balle silencieuse. Pendant que vous étiez en train de rêver de la fusillade que vous avez eue avec lui il y a quelques jours, votre ennemi, bien réel, s'introduisait dans votre chambre d'hôtel. Lorsque vous vous êtes réveillé, c'est son visage de chair et de sang que vous avez vu. Il vient de terminer ce qu'il a raté lundi.
Avant de rendre votre dernier soupir, vous l'entendez siffler entre ses dents :
- Tu n'aurais pas dû jouer au poker avec mon argent...!