Avant toute chose, vous passez aux WC publics du parc, gratuits, pour un besoin naturel. Vous pouvez y boire de l'eau à volonté. Vous gagnez ensuite l'arrière du restaurant que vous aviez vu. Vous surmontez votre honte et entreprenez de fouiller méthodiquement les poubelles, afin d'y dénicher les restes que les serveurs jettent par paquets après le service. Si certains sont dans un état de décomposition rebutant, d'autres ont été bien conservés. Vous trouvez dans un sac plastique jeté récemment les reliefs d'un gratin dauphinois et d'un gâteau aux fraises, sans parler d'un nombre hallucinant de tranches de pain. Vous vous dépêchez de mettre ces "aliments" dans votre bouche, de crainte que l'on ne vous remarque. C'est alors que vous réalisez que vous n'êtes pas seul à ce chiche festin.

Un clochard aux cheveux grisonnants hirsutes, vêtu d'une veste élimée, vous a rejoint au milieu des poubelles, sans faire de bruit. En Suisse, pays réputé dans le monde pour ses banques et ses retraités fortunés, la misère est bien cachée, mais quand on se retrouve à la rue, elle devient soudain plus visible. Votre compagnon d'infortune doit avoir des années d'expérience de cette vie de disette : il fait repas de restes beaucoup moins appétissants que ceux que vous avez eu peine à avaler. D'humeur solidaire, il vous adresse un sourire dans sa barbe et vous lance, en allemand :

- He, du bist hier neu, das ist es ? Du willst, dass ich dich von den Räten gebe ? Gehe zu den tausend sieben.

Ne comprenant rien de ce qu'il vous raconte, vous vous contentez d'opiner. Il paraît satisfait de cette réponse. Dès que vous sentez avoir suffisamment mangé, vous le laissez là terminer son souper, avant qu'une paire de nécessiteux ne finisse par éveiller l'attention d'éventuels passants ou du personnel du restaurant. Vous vous éloignez au 242.