En regardant derrière vous par la vitre, vous découvrez enfin le lieu où vous avez été conduit pendant que vous étiez inconscient. Lorsque vous avez quitté cette cave glauque où l'on vous avait enfermé, vous étiez encore si vaseux que vous avez suivi Tess sans trop réfléchir aux pièces que vous traversiez. L'endroit avait l'air fort cossu ; vous comprenez pourquoi en voyant la demeure. Il s'agit d'une sorte de manoir ancien, sur le flanc duquel a été ajoutée une aile plus récente, plus moderne, de type villa. Des bois entourent l'édifice. C'est un domaine de milliardaire ! Vous en déduisez avoir été emmené chez Baby Joe : dans la hiérarchie de la pègre, seul le parrain peut se permettre de vivre dans un endroit pareil.

D'autres gardes sortent de la maison et vous tirent dessus, mais vous avez déjà atteint les bois, hors de leur portée. L'allée louvoie à travers les arbres, dont la plupart ont perdu leurs feuilles caduques. Par cette sinistre nuit sans lune, ils ressemblent à des démons difformes prêts à vous agripper de leurs bras noueux. Vous arrivez finalement devant la grille d'entrée en fer forgé. Tess a eu du nez en empruntant cette allée. C'est la seule façon de franchir le mur d'enceinte qui délimite la propriété. Hélas, le portail est fermé.

- Dans la boîte à gant ! vous crie votre conductrice. Il doit y avoir un bip qui commande l'ouverture !

Vous regardez où elle vous dit et trouvez le bip en question. Vous appuyez frénétiquement sur le bouton et la grille s'ouvre pour vous laisser sortir. Du côté de la villa, vous entendez des bruits de moteur qu'on met en route. D'autres véhicules vont se lancer à votre poursuite ! Vous ne devez pas vous attarder ici ! Tess appuie sur le champignon. En sortant en trombe de la propriété, vous avez le temps de lire, sur la boîte aux lettres encastrée dans la paroi, le nom "Joseph Sergeneau".

Tess a l'air de connaître la route. Vous descendez sur un kilomètre un chemin goudronné serpentant à travers une forêt de conifères. Arrivant en vue d'un village, vous obliquez vers une autre route, plus large, qui descend encore un long moment à travers la campagne. La riche demeure devait se trouver en pleine montagne, vu toutes les pentes que vous dévalez à tombeau ouvert. Peut-être loin de Genève. Vous regardez sans cesse derrière vous, pour vous assurer que nul n'a réussi à vous filer le train. Mais il n'y a que la nuit pour vous tenir compagnie dans ce voyage angoissant dans ces campagnes endormies.

Lorsque vous débouchez enfin sur une autoroute, vous avez acquis la certitude qu'aucun de vos ennemis n'a réussi à vous suivre. Vous éprouvez un certain soulagement. D'après les panneaux indicateurs verts, vous êtes toujours en Suisse.


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