Le commissaire vous a invité pour ce midi dans la petite brasserie située en face du siège de Dattaque Industries, de l'autre côté de la rue. Vous le rejoignez à sa table, qu'il a choisie un peu à l'écart, au calme. À côté de lui est assis Laurent Loyson, invité lui aussi. En raison de sa proximité, ce restaurant est un lieu souvent fréquenté par le personnel de Dattaque. Cardoze en a profité pour y mener une petite enquête, dans l'espoir de trouver des témoins de choses anormales hier soir, mais parmi les rares clients ayant soupé ici, personne n'a rien noté de spécial.
Vous attaquez le repas par un tablier de sapeur, une spécialité à base de tripes panées, à la sauce gribiche. Mais ce n'est pas de gastronomie dont le commissaire souhaite parler :
- Toutes les dépositions que nous avons recueillies ce matin confirment la version des faits que vous nous avez donnée, Mr Loyson. Louis Dattaque a été tué entre 20h et 23h, dans son bureau fermé de l'intérieur. La clef a été trouvée dans la serrure, côté intérieur. L'assassin n'a pas pu pénétrer par la porte, car elle était gardée par Thomas Nache, le garde du corps. Ou bien il ment, ou bien l'assassin s'est introduit dans le bureau par la fenêtre.
- Mais comment est-ce possible ? s'étonne Laurent. Comment un être humain a-t-il pu grimper le long du mur 9 étages sans se faire remarquer par nos services de sécurité ?
- Certains tueurs ont des capacités physiques hors du commun, vous savez. Non, ce qui me semble ne pas coller avec cette hypothèse, c'est qu'il n'y a aucune trace le long de la façade. Pour y grimper, un tueur aurait obligatoirement laissé des marques de crampons.
- À moins qu'il ne soit descendu en rappel depuis le toit, faites-vous remarquer.
- Oui, c'est faisable, dans ce cas. Le veilleur de nuit croit avoir vu une ombre passer devant la fenêtre du 9ème étage. Cependant, pour accéder au toit, le tueur devait obligatoirement se trouver dans l'immeuble, et donc passer devant les caméras de surveillance.
- Qui se trouvait encore dans l'immeuble à cette heure-là ?
- On peut le savoir précisément grâce aux badges de sécurité, indispensables pour ouvrir les portes de chaque étage, intervient Laurent.
- C'est ce que nous avons fait, dit Cardoze. cette heure-là, hormis la victime, il ne restait dans l'immeuble que le personnel de sécurité, Robert Bolet et ses clients chinois, Thomas Nache, et vous, Mr Loyson.
- Il y a une autre possibilité, répond Laurent piqué au vif. L'assassin a pu rester dans l'immeuble depuis des jours. Il y est peut-être encore, d'ailleurs...
- Impossible d'entrer et sortir sans passer devant les caméras, rétorque le commissaire. Le nombre d'entrés doit correspondre au nombre de sortis. Et nous avons passé l'immeuble au peigne fin. Je peux vous assurer que personne ne s'y cachait. Autre chose : Dattaque a été abattu d'une balle dans la gorge. Comme il n'a pas eu le temps de crier, cela signifie soit qu'il a été pris par surprise, soit qu'il connaissait son agresseur mais ne s'attendait pas à ce que ce dernier l'agressât. Dans les deux cas, ça ne cadre pas avec l'hypothèse d'un tueur passant par la fenêtre, qui lui aurait largement laissé le temps de crier à l'aide.
- Si vous pensez que l'assassin n'est pas passé par la fenêtre, cela voudrait dire que, pour vous, Thomas Nache ment ?
- Oui. C'est mon suspect n°1. Il avait la meilleure opportunité pour commettre le crime. Il demandait à son patron de lui ouvrir, le menaçait de le tuer s'il ne lui ouvrait pas le coffre -ou alors le coffre était déjà ouvert- puis le tuait et mettait en place la mise en scène. Sitôt la porte défoncée, il remettait la clef dans la serrure, côté intérieur, et le tour était joué.
- Mais c'est vrai ! se souvient Laurent. C'est lui qui nous a dit que la clef était dans la serrure, nous l'avons cru et personne d'autre n'a vérifié. Et c'est lui le premier à avoir examiné la serrure quand ils ont défoncé la porte.
- Ce qui me gêne dans cette hypothèse, reprend Cardoze, c'est que je ne vois pas quel serait le mobile du crime. Bon, ça ne m'a pas empêché d'ordonner son placement en garde à vue juste avant que ne commence ce repas.
Vous vous taisez tous trois un moment, conscients de la gravité de la décision du commissaire. C'est Laurent qui brise ce silence :
- Nache s'est absenté le temps de nous prévenir, Bolet et moi. Le criminel aurait pu en profiter pour quitter le bureau pendant ce temps.
- Peu probable, rétorque le commissaire. Le bureau était fermé de l'intérieur.
- Et si le type s'était caché dans le bureau bien avant que Mr Dattaque n'y entrât, puis était ressorti après que le corps eut été retrouvé, profitant de la confusion générale ?
- Vous m'avez vous-même dit que le corps n'était jamais resté sans surveillance. Vous vous ingéniez beaucoup pour lever les soupçons qui pèsent sur Nache, je trouve.
- Pas du tout, s'offusque votre ami. Je... je cherche juste à faire avancer les choses.
- Il y a une autre possibilité, intervenez-vous. Nache n'a peut-être pas commis le meurtre, mais a laissé entrer l'assassin. Sciemment ou non, d'ailleurs.
- Oh non ! crie Laurent, ce n'est pas possible !
- Pourquoi ça ? lui demandez-vous, surpris de sa réaction un brin disproportionnée.
- Euh... je dis que c'est impossible d'imaginer une chose si abjecte.
Trouvant votre ami pas très clair (qu'a-t-il pris en apéro avant que vous n'arriviez ?), vous vous tournez vers Cardoze :
- Nache s'est peut-être assoupi et ne veut pas l'avouer. Quoiqu'il en soit, s'il a laissé passer le meurtrier, Dattaque devait néanmoins connaître ce dernier, pour le laisser entrer et ne pas crier.
- Ou alors l'assassin lui a sauté dessus promptement, sans lui laisser le temps de réagir.
- Ou alors il existe une autre possibilité à laquelle nous n'avons pas encore pensé.
- ça fait beaucoup trop d'hypothèses à mon goût, vous répond-il en marmonnant dans sa moustache.
- Nache n'est pas votre seul suspect, me disiez-vous ce matin ? Vous abandonnez ces pistes ?
- Non point, non point. Je ne néglige aucune piste. En bon policier carré, pour démasquer un meurtrier, je me demande toujours à qui profite le crime. Dans cette affaire, je vois trois mobiles possibles : le pouvoir, car Louis Dattaque laisse derrière lui un poste convoité, la vengeance, à cause de la mise en scène macabre du meurtre, et l'espionnage, car son coffre a été vidé. Si le mobile est le pouvoir, les suspects sont les héritiers et les principaux actionnaires de l'entreprise, à savoir Anne-Sophie et Didier Dattaque, Robert Bolet et vous Mr Loyson. Si le mobile est la vengeance, je pense à Bolet qui a été récemment démis de ses fonctions et qui s'est disputé avec la victime la veille du crime. Si le mobile est l'espionnage, les soupçons se tournent vers Nelson Delmas, le concurrent de Dattaque. Mais je ne limite pas la liste des suspects à ces cinq personnes. À noter qu'elles ont toutes un alibi pour la nuit du meurtre. Anne-Sophie était chez elle avec sa bonne comme témoin. Didier était en boîte de nuit en présence de nombreux témoins. Bolet était avec des clients chinois. Et Delmas avec des clients russes. En fait, il n'y a que vous, Mr Loyson, qui n'avez pas d'alibi.
Laurent manque de s'étrangler en avalant sa sauce gribiche.
- Vous ne pensez tout de même pas que j'aie pu commettre ce meurtre ?!
- Je ne néglige aucune piste, je vous ai dit. Mais je n'accorde pas une importance extrême à ces alibis. Les suspects ont très bien pu engager un tueur pour commettre le crime et lui donner des instructions pour le
mettre en scène.
Alors qu'une serveuse aimable amène le plat de résistance, Cardoze s'attarde justement sur la scène du crime :
- Après avoir abattu Mr Dattaque au pistolet, l'assassin lui a planté dans le cou un kriss. Un poignard à la lame ondulée connu pour être une arme de sacrifice.
- Ce n'est pas une arme courante, fait remarquer Laurent. Vous pensez qu'elle a été utilisée à dessein ?
- Très certainement. L'assassin ne l'a pas emportée avec lui et l'a laissée sur place. Ça m'étonnerait que ce soit un oubli de sa part. C'est comme s'il voulait nous narguer.
- C'est insensé ! s'exclame Laurent. S'il avait déjà tué Louis avec un revolver, à quoi cette arme lui servait-elle ?
- Il semble ne s'en être servi que pour
signer son crime.
- Que voulez-vous dire ?
- C'est l'élément le plus troublant de cette affaire. Je ne vois absolument pas pourquoi il a agi de la sorte. Il a enfoncé son couteau dans le cou de sa victime et, avec le sang, a tracé une large croix en forme de X sur le mur, bien voyante, à côté du coffre vide. Comme s'il avait voulu signer son crime.
- Ça n'a aucun sens..., fait Laurent en hochant la tête.
- Je ne sais pas le
pourquoi de la chose, intervenez-vous, mais ce qui m'intrigue est surtout le
comment. Comment l'assassin a-t-il pu entrer avec un pistolet et un kriss sans être repéré par la sécurité aux portiques ?
- Comme je vous l'ai dit ce matin, trois personnes ne se soumettaient jamais aux contrôles : Louis Dattaque, son garde du corps et sa fille Anne-Sophie. D'après le dernier gardien que j'ai interrogé, il semblerait que vous n'ayez pas été contrôlé hier non plus, Mr Loyson.
Votre ami a du mal à dissimuler sa gêne.
- C'est exact. En tant que directeur adjoint, je jouis désormais de ce privilège. Mais Robert Bolet en bénéficiait également par le passé.
- Je ne disais pas ça pour vous accuser, Mr Loyson.
Un silence pesant s'installe. Pour détendre l'atmosphère entre votre riche employeur et votre meilleur allié, vous devez trouver une diversion. Vous pouvez demander :
À Laurent pourquoi il a crié quand vous avez émis l'idée que Nache aurait pu laisser entrer quelqu'un (rendez-vous pour cela au
341).
Ou si une personne extérieure à l'entreprise pouvait ouvrir le coffre du bureau de Louis Dattaque (rendez-vous au
727).
À Cardoze s'il connaît les antécédents de Thomas Nache le garde du corps (rendez-vous au
310).
Ou les résultats de l'autopsie (rendez-vous au
130).