Nils Jacket Contre l'Agent X, le site officiel des Enquêtes de Nils Jacket

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Cardoze et vous ne mettez guère de temps à gagner le siège de Dattaque Industries. Un essaim de journalistes et de paparazzi est déjà agglutiné devant le portail d'entrée pour couvrir l'événement. Vous parvenez tant bien que mal à vous y frayer un passage, surtout grâce à la poigne du commissaire qui sait y faire avec ces gens-là. Les vigiles vous laissent entrer sans problème, le temps de s'assurer que vous ne faites pas partie de la meute. Les gardes dans le hall du building font un peu plus d'histoires. Ce sont de toutes nouvelles têtes et il faut que vous justifiiez de votre identité. Du coup, lorsque vous arrivez dans la grande salle de réunion au 10ème étage, le tout dernier étage du bâtiment, le conseil d'administration exceptionnel a déjà débuté. Vous vous excusez de l'interruption, mais les débats semblent tellement animés que c'est tout juste si les participants remarquent votre entrée.

Vous prenez le temps de dévisager, l'un après l'autre, les actionnaires assis dans les hauts fauteuils en cuir autour de la très longue table ovale. Beaucoup vous sont de parfaits inconnus. Ils sont censés parler chacun à leur tour, dans leur petit micro individuel, mais nombre d'entre eux apostrophent directement à haute voix le président de séance, un Laurent Loyson qui a bien du mal à les tenir. À sa droite, c'est Anne-Sophie Dattaque, l'héritière. Elle porte un tailleur bordeaux très foncé, elle a ramené ses cheveux bruns en chignon et elle s'est mis beaucoup de maquillage noir pour cacher ses cernes, creusés par les épreuves de ces derniers jours. Ses lèvres serrées donnent à son visage un air mal assuré et amer devant cette cacophonie. À l'autre bout de la table, son frère Didier, en costume cravate marron, reste parfaitement calme et silencieux. Il ne peut s'empêcher de sourire devant le spectacle de ce pathétique tohu-bohu. On dirait qu'il prépare un mauvais coup. Vous remarquez que Robert Bolet, lui, est absent de cette réunion au sommet.

Loyson profite de votre entrée pour asséner un argument qui calme tout le monde :

- Je vous rappelle, messieurs-dames, que le conseil d'aujourd'hui a été convoqué en urgence pour désigner un nouveau PDG à Dattaque Industries, suite à la tragique disparition de Mr Dattaque. Je vous invite à avoir la décence de rendre cette désignation la plus digne possible, en sa mémoire, et par respect pour ses enfants ici présents, touchés par le chagrin et las de vos enfantillages. C'est une décision nécessaire et à ne pas prendre à la légère, car notre société a une mission importante envers l'armée et le pays. L'enquête sera là pour le démontrer, mais le meurtre de notre patron est certainement lié à une affaire d'espionnage grave, qui demande la sérénité d'une direction stable.

Sans surprise après un tel discours, il annonce qu'il se présente à cette succession. Anne-Sophie intervient à son tour et lui apporte son appui total : Laurent était proche de son père et il connaît les rouages de l'entreprise mieux que quiconque. Un homme exigeant comme Louis Dattaque ne l'aurait pas désigné comme directeur adjoint s'il n'en avait pas les capacités. La continuité et la stabilité sont nécessaires en cette période de trouble.

C'est alors que Didier prend la parole. Devant une assistance médusée, il dénonce la rapacité et l'arrivisme de Loyson. Il accuse ce dernier de vouloir faire main basse sur l'entreprise de son père. Il n'a pas hésité à séduire sa sœur pour y arriver. Laurent proteste énergiquement, mais Didier le fait taire :

- De toutes façons, cet ambitieux ne pourra pas se faire nommer patron car je dispose de 49% des actions de la boîte.


C'est la stupeur totale dans l'assemblée, parcourue par une rumeur bruyante. Les actionnaires ne s'attendaient pas à cela. "Ce n'est pas possible !" répète une Anne-Sophie effarée. Mais l'Agent Comptable examine le document bancaire que présente l'héritier Dattaque : il détient bel et bien ce qu'il prétend.

- Comment s'y est-il pris, selon vous ? vous demande Cardoze à voix basse.

Mais vous n'avez pas le temps de lui répondre. C'est le ramdam total. Un actionnaire apostrophe Didier :

- Vous disposez d'une minorité de blocage, suffisante pour empêcher Mr Loyson d'atteindre le quorum des 60% nécessaires pour être élu, certes. Mais vous n'avez pas vous-même ces 60%. Si vous souhaitez devenir le nouveau PDG, comme vous l'avez clamé dans la presse, vous avez besoin des voix des petits actionnaires que nous sommes. Pourquoi vous nommerions-nous à la tête de Dattaque Industries alors que vous n'avez manifestement pas les compétences pour ce poste ?

- Si je n'avais pas les compétences, riposte l'héritier, je n'aurais pas réussi à me procurer les 49% d'actions qui vous ont mis sur le croupion à l'instant. Cependant, si je suis convaincu d'être le meilleur choix que vous puissiez faire en ces périodes sombres, la raison en est simple : le lendemain du meurtre de mon père, j'ai été moi aussi victime d'une tentative d'assassinat.

Nouveaux bruits dans l'assemblée. Laurent est rouge de colère. Il clame que ce type d'argument est totalement déplacé et indécent. Mais les autres porteurs d'actions l'enjoignent de se taire car ils veulent écouter Didier :

- C'est mon pauvre garde du corps qui est mort à ma place. Cette tentative de meurtre sur ma personne prouve que l'ennemi de Dattaque Industries ne veut pas non plus que j'en prenne la tête. Nommez-moi PDG pour lui montrer que nous ne sommes pas des gens qui s'écrasent, que nous n'avons pas peur de ces intimidations ! On peut tenter de me tuer autant de fois qu'on veut, je me battrai sans relâche, avec courage, pour que nous triomphions à la fin ! La tête de Dattaque Industries doit rester à un Dattaque !


L'argument est puéril, mais il s'avère redoutablement efficace. Suite à ce coup de théâtre, une partie des petits actionnaires change son fusil d'épaule et vote pour Didier. À la future surprise des milieux financiers quand ils apprendront la nouvelle, le fils Dattaque est choisi comme nouveau PDG. Il succède à son père à ce poste prestigieux.

La séance s'achève dans une atmosphère survoltée, à la limite de la foire d'empoigne. Laurent traverse toute la salle pour parler en face au nouveau patron :

- Je ne sais pas comment tu t'y es pris pour monter ce coup, mais tu ne l'emporteras pas au paradis !

- Économise ta salive, pauvre naze. Tu vas bientôt en avoir besoin à l'ANPE.

Anne-Sophie s'en prend à son tour à son frère :

- Nous avons partagé les 60% d'actions de papa entre nous deux. Robert Bolet en possédait 19%. C'est lui qui te les a cédées !

- C'est possible...

- Jamais il n'aurait accepté de te les vendre. Comment as-tu fait pour les lui extorquer ?

- Attention, Anne-So, tu dérapes. Tu es à deux doigts de la diffamation.

- Je sais ! Tu as découvert pourquoi papa l'a limogé et tu l'as fait chanter, c'est ça, hein ? (Didier ne répond pas) C'est une déclaration de guerre, p'tit frère ! Je vais te le faire payer cher !

- Tu n'as pas compris que la guerre est déjà finie ? J'ai gagné, sœurette.

- Quel dommage que le tireur t'ait raté l'autre matin !

Un silence de mort tombe sur la salle. Les paroles dépassent désormais les pensées.

- Oui, quel dommage que ce soit ton ex qui ait clamsé à ma place, répond Didier du tac au tac.

Il ne faut pas moins de cinq hommes de l'assistance pour retenir Anne-Sophie d'énucléer son frère.


Alors que tous les participants se sont levés et quittent les lieux, le nouveau PDG vient vous voir. Cardoze le félicite pour son élection.

- Je suis sûr que les journalistes ne vont pas en revenir, savoure-t-il avec le sourire du vainqueur. Je vais faire la une du Times, c'est obligé ! (il s'adresse plus particulièrement à vous :) Jacket, à partir de maintenant, votre enquête est terminée. En tant que nouveau directeur de l'entreprise, et donc en tant que votre employeur, je vous signifie que votre collaboration avec Dattaque Industries s'achève là.

- Vous ne comptez pas ne pas me payer, j'ose espérer.

- Ne vous inquiétez pas pour vos émoluments. Vous serez grassement payé pour le travail effectué jusque là. Mais maintenant, je compte confier l'enquête sur la mort de mon père à de vrais détectives réputés, vous ne m'en tiendrez pas rigueur…!

Il s'en va avec un sourire mauvais, non sans vous avoir donné rendez-vous demain matin pour la remise de votre chèque. Vous venez de perdre votre emploi. C'était le premier vrai boulot valable de votre carrière de détective...


Vous soupez au restaurant en compagnie du commissaire qui n'en revient toujours pas de ce qui s'est passé cet après-midi. Il ne s'attendait pas à cela. Il commence à échafauder de nouvelles théories sur le meurtre de Louis Dattaque et sur les mobiles des suspects. Vous, vous restez songeur. Didier Dattaque avait bien caché son jeu. Mais, depuis le début de cette affaire, tout le monde semble vous avoir caché des choses. Ce conseil d'administration extraordinaire vous a peut-être apporté les derniers indices que vous attendiez. Le temps est venu de faire tomber tous ces masques.

Après avoir réglé l'addition, Cardoze vous souhaite bonne nuit et vous donne rendez-vous demain matin. Il passera vous chercher pour vous amener au siège de Dattaque. Vous êtes tous les deux invités à une réunion au sommet convoquée par le commandant Montanes et le Ministre de l'Intérieur.


Si vous n'avez pas pu venir en voiture ce matin, le commissaire vous raccompagne chez vous, au 543.

Si vous avez pris votre 106 ce matin, vous regagnez votre cabinet en voiture, au 543.