- C'est bizarre, lui faites-vous remarquer, j'ai justement parlé avec le veilleur de nuit ce matin, et il m'a affirmé vous avoir parlé de l'ombre, avant que Thomas Nache ne vînt le chercher pour enfoncer la porte.
En un quart de seconde, le jeune vigile blêmit. Il reste interdit l'espace d'un instant, avant de perdre ses gonds :
- Ah non ! Il n'avait pas le droit de me mouiller ! Ce n'est pas ce qu'on avait dit ! Je ne marche plus dans ses combines !
Se rendant compte qu'il en a déjà trop dit, il s'interrompt brusquement et bafouille une excuse pour que vous le laissiez. Mais vous n'êtes pas du genre à laisser s'échapper un poisson ferré. Ce gars sait quelque chose qu'il ne veut pas dire et vous voulez savoir quoi.
- De quelles combines parlez-vous ? Qu'est-ce que le veilleur de nuit a fait ?
Devant son mutisme, vous le menacez : un meurtre est une chose grave, surtout celui d'un allié du gouvernement. S'il sait quelque chose qui peut aider à l'élucider, il doit le dire, sinon il devient complice et vous n'hésiterez pas à en référer au Ministère. Votre attaque fait mouche et la cuirasse de votre interlocuteur s'ébrèche vite :
- Vous ne comprenez pas ! s'écrie-t-il. Si ça se trouve elle est innocente ! Je ne peux pas risquer de briser une vie comme ça. Je ne la donnerai pas en pâture à la police et aux journalistes.
La chose se précise. Conscient qu'il cherche à protéger quelqu'un, vous prenez un ton plus rassurant. Vous lui expliquez que vous n'êtes pas de la police mais au service de l'entreprise. Vous ne communiquerez aux autorités que les informations nécessaires à l'arrestation du coupable. Vous garderez le reste pour vous. Le vigile finit par craquer et consent à tout vous dire.
- Le veilleur de nuit n'a pas vu d'ombre, c'est ça ? demandez-vous.
- Non.
- Pourquoi a-t-il inventé cette histoire ?
- Pour la protéger.
- Qui ça ?
- Mlle Dattaque.
Vous avalez votre salive, en tâchant de ne montrer aucune surprise.
- Qu'est-ce qui serait susceptible d'inquiéter Mlle Dattaque ? Elle était chez elle hier soir à l'heure du crime. Sa bonne peut en témoigner.
- Non, elle n'était pas chez elle.
- Expliquez-vous.
Il change de position sur son siège, très mal à l'aise.
- C'est moi qui ai remarqué ce détail.
- Quel détail ?
- Mlle Dattaque est arrivée dans l'immeuble hier soir, vers 18h. Elle est passée par le portique devant mon guichet, comme le veut l'usage. Elle n'est jamais repassée devant moi en sens inverse.
Vous cachez mal votre surprise, cette fois.
- Vous voulez dire : elle est restée dans l'immeuble toute la nuit ?!
- Oui. Ce matin, elle était là également, à pleurer la mort de son père. Mais à aucun moment je ne l'ai vue entrer. Dans l'hystérie, personne n'y a fait attention. Mais moi, j'ai remarqué ce détail.
- Comment se fait-ce ?
- C'est que... le travail de vigile est des plus monotones... J'ai peu de moments souriants dans la journée... Alors quand Mlle Dattaque passe et vous fait un sourire...
Il n'en dit pas plus, mais ses joues empourprées vous suffisent à appréhender la nature des sentiments qui parlent là.
- Si elle restée cachée toute la nuit ici, j'en craignais la raison. Il n'y a pas de fumée sans feu. Je l'ai imaginée en train de s'introduire dans le bureau de son père, en se faufilant dans le dos de Nache pendant que ce dernier dormait...
- Vous pensez qu'elle a pu assassiner son père ?
- Je n'ose y penser ! Mais si c'est le cas, elle ne mérite pas d'être condamnée. Son père lui en a fait baver. C'était un possessif maniaque. Il fallait que tout lui appartînt et lui obéît au doigt et à l'il. Quand j'ai fait part de mon observation à Raymond le veilleur, il était d'accord avec moi : il fallait éviter à Mlle Dattaque d'être arrêtée. Il a alors eu l'idée d'inventer cette histoire d'ombre s'enfuyant par la fenêtre. Il espérait que la police croirait que l'assassin était venu de l'extérieur et laisserait Mademoiselle tranquille. Je trouvais l'idée grotesque et surtout immorale, mais comme, sur le coup, je ne voyais pas d'autre idée, j'ai marché dans son plan, du moment qu'il ne m'y mêlait pas.
- Ce qu'il n'a pas su faire...
- Je vous en prie, Mr Jacket, croyez-moi : Mademoiselle ne mérite pas d'être traitée comme une criminelle. Assurez-moi que vous garderez ce que je viens de dire pour vous.
Pour ne pouvez pas lui promettre, mais vous vous engagez à n'utiliser cette information que si elle vous permet d'arrêter le coupable. Vous avez l'impression de tenir là un indice important. Notez le mot-code "FILLAB" dans votre Journal d'Enquête.
Alors que vous allez lui en demander davantage sur la tyrannie qu'il prête à Louis Dattaque, des éclats de voix intempestifs viennent vous interrompre dans votre élan. Des policiers affluent soudain de tous les côtés, en passant devant vous. Ils forment vite un cercle autour de l'un d'entre eux, qui tient à la main un sachet en plastique. Le type de sachet plastique médical utilisé pour ranger les pièces à conviction. Vous comprenez vite de quoi il s'agit : la vraie arme du crime a été retrouvée !
Vous vous mêlez au cercle pour la voir : il s'agit d'un Zastava M88, un pistolet familier chez les snipers pendant la Guerre des Balkans, aujourd'hui assez répandu dans les mafias des pays de l'Est. Il était caché dans la chasse d'eau d'un WC du rez-de-chaussée. Cardoze avait vu juste : l'assassin avait bien laissée l'arme au Building Dattaque. Il ne reste plus qu'à la faire analyser, mais vous n'en espérez pas trop. Si le coupable avait laissé des traces, elles ont certainement disparu. L'information importante, c'est que votre homme est passé par le rez-de-chaussée avant de s'envoler. Vous ne savez pas comment il a pu introduire le pistolet, mais vous savez qu'il ne pouvait pas ressortir avec. L'hypothèse du tueur faisant de l'escalade paraît de moins en moins crédible.
Vous ne serez plus seul pour interroger le vigile, et puis l'objet de vos recherches a été retrouvé, aussi est-il temps pour vous de rentrer. Vous faites un signe de tête entendu au vigile et quittez le building Dattaque. Rendez-vous au
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