À en croire les sites Internet spécialisés, les spectacles de magie de Thanos avaient fait un carton à Las Vegas. Il était devenu suffisamment riche pour ne plus donner que de rares représentations, plus pour son plaisir que pour payer ses impôts, selon les propres termes de l'intéressé. Il avait pourtant commencé sa carrière très bas, dans un cirque. Le cirque où travaillait un certain Roberto Notarangeli. Les deux étaient connus pour être amis, jusqu'au jour où le futur peintre avait été accusé du meurtre de Xavière Thanos, la femme du prestidigitateur.
Après vous être garé dans la grande cour de gravier, vous allâtes sonner à la porte d'entrée en bois massif. En réponse, cette dernière s'ouvrit toute seule, dans un grincement sinistre. Le maître de maison ne ménageait pas ses effets. Vous pénétrâtes dans un couloir obscur, au bout duquel luisait l'entrebâillement d'une porte.
- Par ici, vous invita une voix sourde surgie de nulle part, qui résonnait étrangement.
La porte donnait sur une pièce à l'atmosphère pesante, remplie de mobilier de scène poussiéreux, comme une boîte où scier des femmes, ou une malle où enfoncer des sabres. Certains accessoires étaient recouverts d'un drap blanc. Une odeur de fumée flottait dans l'air et le plancher de bois craquait à chacun de vos pas.
- Bienvenue en mon modeste logis, Mr Jacket ! vous accueillit la voix caverneuse.
Vous fîtes volte-face : personne. Vous auriez juré que votre hôte était à côté de vous.
- Où êtes-vous ?
- Mais je suis ici !
Devant vous une baguette de magicien s'éleva dans les airs.
- On dirait que vous ne me voyez pas.
La voix était à deux mètres devant vous, mais votre interlocuteur restait invisible, ce qui ne l'empêchait pas d'agiter sa baguette devant vous en même temps qu'il parlait.
- J'ai affaire à Mr Thanos, je suppose ?
- "En chair et en os" !
Une brusque explosion créa un nuage de fumée devant vous, laissant entrevoir une silhouette. Mais ce fut en fait derrière vous que Thanos apparut, ce qui vous prit totalement de cours.
- Comme vous pouvez le constater, Mr Jacket, tout l'art de la magie repose sur la diversion.
Timothée Thanos était un homme grand, large d'épaule et même un peu bedonnant. Un peu le physique d'un lutteur gréco-romain à la retraite. Il était vêtu d'un costume blanc sur une chemise noir. Ses cheveux grisonnants étaient plaqués en arrière et une large moustache ne cachait pas le sourire malicieux de celui qui a joué un bon tour à son prochain. Ses yeux plissés lui donnaient une bonhommie engageante, mais vous ne vous y laissiez pas prendre : vous aviez affaire à un esprit vif et malin. Il vous avait appelé par votre nom alors que vous n'aviez jamais été présentés. Vous vous doutiez du truc qu'il avait utilisé devant vous : des tuyaux d'où sortait sa voix pour vous faire croire qu'il était devant vous, et une baguette habilement reliée à un fil invisible dans la pénombre.
- Heureux de faire votre connaissance, Mr Jacket. Je me doutais que nous serions amenés à nous rencontrer. Que dites-vous de mon
antre ?
Comme il disait cela, il avait fait surgir une flamme dans sa main et commençait à jouer avec.
- Pas mal pour impressionner le visiteur et entretenir sa légende.
Il ne laissa rien paraître sur son visage, mais il stoppa net sa flamme, d'un geste que vous auriez volontiers qualifié de vexé.
- Il faut souvent beaucoup de temps et d'abnégation pour construire un tour, expliqua-t-il. Certains illusionnistes font croire toute leur vie qu'ils sont handicapés pour cacher leur secret. Il faut savoir payer de sa personne, en somme.
Vous vouliez revenir sur le vol de son tableau. Il vous raconta comment tout s'était déroulé. Ayant reçu la carte de visite du Voleur d'Ombres, il avait voulu relever le défi et avait organisé une réception mondaine ici, dans sa villa. Il avait enfermé son Notarangeli dans sa chambre forte, une salle hermétiquement fermée par une épaisse porte blindée qui ne s'ouvrait qu'après reconnaissance rétinienne. Il avait montré la peinture à ses invités, en sa présence, puis avait refermé derrière lui ; tout le monde avait pu voir que la toile y était toujours.
Un peu plus tard, dans la soirée, l'alarme avait retenti. Ses convives et lui s'étaient précipités vers la chambre forte. La porte blindée était grande ouverte et une carte de visite était accrochée à la place de l'Horloge (c'était le nom de son Notarangeli). Certains invités et lui avaient pu voir la silhouette du Voleur d'Ombres en train de s'enfuir : un individu maigre et agile.
- Vous n'étiez plus retourné dans la chambre forte, avant le vol ?
- À aucun moment. Je suis resté accompagné toute la soirée.
- Avez-vous remarqué si un invité était alors absent ?
- Je suis à peu près sûr que tous mes invités étaient toujours là. Je
j'avoue que j'étais un peu trop choqué pour faire attention
- Hormis votre rétine, il n'y avait pas moyen d'ouvrir la porte blindée ?
- En théorie, non. Mais il faut croire que oui.
- Le Voleur d'Ombres aurait donc réussi à déjouer un système normalement infaillible. Mais comment ?
Thanos souriait, mais jaune. Il paraissait admiratif du tour que lui avait joué le voleur, mais énervé d'avoir perdu son tableau.
Si vous êtes le 12 avril, rendez-vous au 152.
Sinon, rendez-vous au 1178.