Lorsque Mr Jobard entra dans l'amphithéâtre de la faculté de physique, quelques étudiants, comme à leur habitude, ne manquèrent pas de se moquer de ses mèches châtaines ondulant au rythme de son pas décidé. Il les jaugea d'un regard chafouin et entama son cours sur les lois de Snell-Descartes. Calé en haut des gradins, vous aviez le parfait recul pour voir ce qu'était devenu votre ancien camarade de classe.
Il était très calé, vous vous en rappeliez. Une "tronche". Mais être savant ne suffisait pas à être enseignant. Lorsqu'un des rares élèves à vouloir participer au cours eut le malheur de commettre une erreur, le professeur piqua une colère :
- Bande de phoques ! Confondre "angle d'incidence" et "angle de réflexion" ! C'est le B.A.BA de l'optique géométrique ! Têtards dégénérés !
Jobard était un spécialiste ès remarques acides, qu'il assénait avec une certaine forme de joie, ce qui ne manquait pas de vexer ses élèves :
- Vous ne pouvez pas dire ça, Monsieur ! s'éleva une voix. C'est injuste !
- Vous faites tout pour nous humilier, ce n'est pas de la pédagogie, ça ! lança une autre voix.
- Vous vous acharnez sur nous ! enchérit une troisième.
Face au tollé général, sans se départir de son calme froid, Jobard répliqua d'un ton sec :
- Très bien ! On ne peut rien vous dire, je ne vous dirai plus rien. Vous êtes des bébés, je vous traiterai comme des bébés. Ce semestre nous jouerons avec vos règles et tout le monde aura douze. Mais le prochain semestre on jouera avec mes règles et tout le monde aura quatre. Que les choses soient bien claires entre nous !
À la fin de l'heure de guerre froide, Julien Jobard apprécia votre visite et vous donna de bon cur toutes les informations que vous souhaitiez. Pour une fois que quelqu'un s'intéressait à ce qu'il disait ! Et quel prestige de pouvoir contribuer à arrêter le malfaiteur dont parlaient tous les journaux ! Il se montra très didactique dans ses explications :
- Pour créer une ombre, il faut trois choses : une source de lumière, une surface sur laquelle l'ombre peut être projetée, et un corps entre les deux dont l'ombre sera projetée. Ton voleur doit agir sur l'un des trois éléments.
- Lorsque je l'ai vu faire disparaître les ombres, il avait recouru à une sorte de lumière verte aveuglante. Tu penses qu'il aurait pu agir sur la source de lumière ?
- Ça m'étonnerait. Toute lumière projette des ombres, verte ou pas.
- Et des lumières, il y en avait où j'étais !
- Pour qu'un corps n'ait pas d'ombre, il faudrait qu'il soit transparent. Obtenir cet effet est théoriquement faisable si le sujet est dissimulé derrière une lentille d'une certaine forme qui restituerait l'image située derrière ledit sujet. Mais même dans ce cas, il est impossible d'effacer l'ombre du rebord de la lentille.
- De toutes façons, j'avais perdu mon ombre, je n'étais pas transparent à ce moment-là. Du moins pas physiquement. Donc ce n'est pas sur ce point que le voleur a agi.
- Reste la surface sur laquelle les ombres étaient projetées. Une surface ne peut pas "repousser" une ombre, sauf si elle émet elle-même de la lumière. Ce qui dissiperait l'ombre.
Vous remerciâtes Julien et prîtes congé en songeant à ce que le Voleur d'Ombres pouvait faire sur les murs.
Inscrivez le mot-code "CHLICO" sur votre Journal d'Enquête et rendez-vous au 77.