Les trois surs vous conduisirent à la cave de leur logement. L'endroit idéal pour couper la gorge à un fâcheux. À la lumière d'une ampoule nue, elles vous montrèrent une grande caisse qui contenait chevalets, pinceaux et gouaches.
- Cela appartenait à votre père ? avançâtes-vous.
- C'était son nécessaire à peinture, oui, acquiesça Samantha. (elle regarda sa plus jeune sur :) Le jour des dix-huit ans de Sonia, le notaire de papa nous a remis un mot écrit de sa main.
Elle vous tendit la lettre, que vous lûtes. Un passage attira votre attention :
"Je sais que tout le monde m'accuse du meurtre de Xavière. Je vous jure sur la Vierge que ce n'est pas moi le coupable. Je ne peux pas le prouver, et du coup je ne peux pas vous dire la vérité, car votre mère et vous n'êtes pas de taille à lutter contre l'ennemi. Mais quand vous serez toutes les trois adultes, vous recevrez ce mot et ces instructions. Allez chercher toutes les toiles que j'ai peintes en prison. Elles sont au nombre de dix. La dixième représente l'horloge. C'est elle qui vous donnera la solution. Classez-les par dates de naissance et, en grattant la couleur grise, le rouge apparaîtra et la vérité avec."
- Vous imaginez notre stupeur en apprenant tout ça à la fois, reprit Samantha. Papa serait mort en prison pour rien. Nous étions résolues à laver son honneur. Hélas, maman avait déjà cédé toutes les toiles, sauf une.
- Celle que vous possédiez. Vous l'avez grattée ?
- Non, car nous ne savions pas où. Xavière était la femme de Timothée Thanos, l'ami de papa. Nous sommes allés le voir et lui avons montré la lettre. Il en fut bouleversé. Il n'avait jamais été complètement convaincu de la culpabilité de papa et s'est dit prêt à nous aider à récupérer les peintures. Mais, s'il était prêt à nous avancer l'argent, la plupart des possesseurs n'étaient pas vendeurs, et ils n'allaient pas nous laisser les détériorer.
- Vous avez alors décidé de les voler ?
- Même pas. Car c'est à ce moment-là que le Voleur d'Ombres est entré en scène. Avec sa carte de visite dans notre boîte aux lettres. Nous avions pensé que c'était une blague, mais il nous a bien volé notre tableau. Et lorsque nous avons vu que deux autres toiles avaient subi le même sort, nous avons pris peur. Ça tombait si mal
! Et si elles disparaissaient toutes dans la nature, comment ferions-nous pour suivre les dernières volontés de papa ? Comme Tim était le prochain sur la liste, il a alors eu l'idée de se voler lui-même, pour prendre le voleur de cours. Comme vous l'avez compris, il a réussi, et il s'est contenté de cacher son tableau dans sa voiture, certain que la police ne la fouillerait pas. Malheureusement, le lendemain matin, quand nous sommes allés ensemble le chercher, il n'était plus là. Uniquement un mot du Voleur d'Ombres, le vrai, à la place. Il nous avait doublés !
Vous méditâtes leurs révélations :
- Seul Thanos et vous saviez où se trouvait la toile ?
- Oui, mais le voleur a pu voir Tim faire. Il devait être caché à l'extérieur de la maison.
- Il pouvait se trouver parmi les invités. S'il a deviné la supercherie du sosie, il a pu chercher le vrai Thanos et le suivre.
- Tim penchait plutôt pour la première hypothèse.
- Il y en a une troisième : vous ne pensez pas que Thanos a pu se jouer de vous ?
- Impossible ! Il était aussi surpris que nous en ne trouvant plus son tableau ! argua Sonia.
Elles paraissaient bien sûres d'elles
- Qu'avez-vous fait ensuite ?
- Nous voulions dérober une toile de papa avant le Voleur d'Ombres, le prendre de vitesse quoi, pour l'attirer dans un piège, expliqua Samantha. Nous l'aurions alors démasqué et aurions récupéré les peintures volées. Nous avons d'abord pensé à celle des Halade, car j'étais une proche d'Angélique, une amie d'enfance. J'avais deviné qu'elle avait un amant et, en la suivant un soir, j'avais appris l'existence du passage secret. Hélas, après l'avoir parcouru, j'ai dû abandonner l'idée, car il ne s'ouvrait que de l'intérieur. Impossible d'entrer par là sans complice dans la maison. Nous avons voulu voler Tyron Pumar. Mais c'est un type dangereux, maniaque du fusil, nous n'avons pas pris le risque. En fait, tous les propriétaires étaient sur leurs gardes, à cause du voleur. Il nous fallait agir en même temps que lui. Nous sommes passées à l'action le soir de la réception chez les Pumar. J'avais fait entrer Lydia en la cachant dans ma voiture.
- J'ai attendu le bon moment pour sortir, enchaîna l'intéressée. J'ai pu faire le tour de la villa, mais l'alarme a retenti avant que je n'aie repéré quoi que ce soit de louche. J'ai dû m'enfuir par le parc.
- Vous étiez dans le parc ? Donc si le Voleur d'Ombres avait fui par là, vous l'auriez vu ?
- Oui. Mais je ne l'ai pas vu.
- Il s'est sûrement échappé par l'entrée des domestiques.
- Nous avons ensuite effectué une tentative de la dernière chance à la banque Halroyd dimanche, poursuivit Samantha. Suite à un petit repérage la veille, j'avais remarqué que quelqu'un avait ouvert la lucarne.
- Il pouvait y avoir un système d'alarme, objectâtes-vous. C'était risqué.
- Oh, mais ça, ce n'est pas un problème ! pavoisa Sonia. Je règle ça en un tournemain !
- Lydia a réussi à s'introduire dans la place, la coupa Samantha en fusillant la vantarde du regard. Mais la salle des coffres était trop imprenable
- J'ai d'abord visité l'appartement voisin, dont le vélux était ouvert, compléta Lydia. Je me disais que le voleur avait dû accéder aux toits par là.
- Tandis que vous, vous êtes passée par le fil tendu entre les deux toits, en bonne acrobate du cirque ?
Elle acquiesça, partagée entre culpabilité et fierté.
Leurs explications se tenaient. Le récit se tenait trop bien pour n'être qu'un mytho, mais tout n'était pas forcément vrai. Vous deviez creuser encore un peu :
- Qui me dit que vous ne me jouez pas une comédie soigneusement rôdée pour gagner du temps et faire disparaître les tableaux ?
Samantha sourit.
- Rien. Vous devez nous faire confiance.
- En agissant en parallèle, vous n'avez qu'ajouté de la confusion. Pourquoi ne pas avoir prévenu la police au sujet de la lettre ? Pourquoi ne pas avoir joint vos forces aux siennes ?
Elles se dévisagèrent, ne sachant pas comment vous répondre.
- Hum, je reformule ma question, vous impatientâtes-vous. D'où vous viennent ces talents de voleuses ?
Samantha hésita, puis prit sa décision. Elle ouvrit une autre caisse qui traînait là. Elle regorgeait de bijoux de grand prix. Et s'ils étaient stockés là dans la poussière, ce n'était pas dans le but d'être portés. Abasourdi, vous vous rappelâtes ce que vous avait dit Odile Andylon : le nom des surs revenait dans des affaires de vols de bijoux. Vous fîtes d'un coup le rapprochement avec une affaire dont Cardoze vous avait parlé un an plus tôt. Une série de vols commis dans les milieux bourgeois. Vous aviez même émis l'idée qu'il s'agissait d'une équipe de trois : un guetteur dans la salle parmi les invités, le cambrioleur proprement dit, et un chauffeur qui les attendait dehors. C'étaient donc elles
!
- Pour tout avouer, Nils, conclut Samantha d'un rire désabusé, mes connaissances en art sont assez limitées. C'est surtout une couverture pour repérer les maisons riches à dévaliser. J'occupe les proprios, souvent des hommes âgés qui croient pouvoir m'emballer, Sonia s'occupe des systèmes d'alarme avec ses connaissances en technologie et Lydia fait le coup. Une affaire rondement menée
qui va prendre fin aujourd'hui, je suppose.
Vous teniez vos voleuses ! Vous n'aviez plus qu'à appeler la police pour les faire coffrer. Mais vous aviez été engagé afin d'arrêter le Voleur d'Ombres, vous ne deviez pas oublier votre priorité.
- Si nous vous avouons tout ça, c'est pour prouver notre bonne foi ! s'éleva Lydia. Nous n'avons rien à voir avec ce Voleur d'Ombres qui a tué Angélique Halade !
Il y avait cette fois l'accent de la sincérité dans leurs voix. Le canular aurait été trop gros. Et si elles disaient la vérité, cela vous ouvrait de nouvelles perspectives pour votre enquête.
- Si la lettre de votre père est authentique, suggérâtes-vous, on peut envisager un nouveau mobile pour notre voleur.
- Expliquez-vous, vous enjoignit Samantha.
- Et si le Voleur d'Ombres cherchait à s'emparer de la collection Notarangeli dans le but de percer le secret de votre père
ou au contraire d'empêcher quiconque de le découvrir ?
- Pourquoi ferait-il ça ?
- Parce qu'il est l'assassin de Xavière Thanos, ou qu'il a été engagé par cet assassin.
Elles en restèrent pétrifiées. Comme si elles n'avaient jamais envisagé pareille possibilité.
Il était déjà tard. Vous renfilâtes votre imper et ajustâtes votre Borsalino.
- Avant de partir, j'aimerais que vous me confirmiez un point, Lydia. Dimanche soir, à la banque Halroyd, vous avez dit que la salle des coffres était "imprenable"
Cela veut dire que le Voleur d'Ombres n'avait pas encore opéré, que les gardes étaient encore tous éveillés, c'est ça ?
- Oui, exact.
- Dans ce cas, le filou a agi
après vous, nous sommes d'accord ?
- Non ! Personne n'a pu s'enfuir par la lucarne après moi : je me suis esquivée quand l'alarme a retenti. Le vol a dû être commis pendant que je retournais à la lucarne. Et je n'ai vu personne partir par les toits derrière moi.
- Vous voulez dire qu'il n'a pas emprunté la lucarne ?
- Peut-être que si, mais plus tard dans la nuit, alors.
- Impossible, la police avait déjà bouclé cette issue.
- Notre voleur a pris une autre voie, en déduisit Samantha. Il devait faire partie des invités.
- Ils ont tous été fouillés, et il n'y avait pas d'autre voie. Par conséquent, soit vous me mentez et vous êtes donc mes voleuses, soit Halroyd s'est volé lui-même. Ce qui expliquerait comment le coffre a été si facilement ouvert
Comme vous atteigniez la porte d'entrée, Samantha vous rattrapa et vous retint par la manche.
- Devons-nous craindre de passer la nuit en prison, Nils ?
- Autrement dit, devez-vous vite préparer vos valises là maintenant ?
- Nous perdrions la galerie
- Je vais garder ça pour moi pour l'instant, mais je ne peux rien vous promettre à moyenne échéance.
- Merci infiniment.
Quand elle referma derrière vous, elle s'adossa à la porte, sourire aux lèvres.
Toutefois, si vous souhaitez évoquer ce qu'elles vous ont révélé avec quelqu'un, lorsque cet interlocuteur vous invitera dans le texte à "dire qui est passé par la lucarne", ne tenez pas compte des phrases qui suivront et ajoutez 20 au numéro du paragraphe où vous vous trouverez à ce moment-là ; vous vous rendrez au paragraphe portant le nouveau numéro. Le texte ne vous rappellera pas de le faire, pensez-y bien.
Par ailleurs, inscrivez le mot-code "AMDENF" dans votre Journal d'Enquête (s'il n'y est pas déjà), et soulignez le mot PHORAD si vous l'avez.
Si vous êtes lundi, rendez-vous au 982.
Si vous êtes mardi, rendez-vous au 77.