- Le Voleur d'Ombres s'est joué de nous en beauté ! Ou cette voleuse, devrais-je dire maintenant
!
Lundi matin, le lendemain, Cardoze fulminait encore. Cela faisait deux heures que ses hommes avaient retrouvé l'hélicoptère qui avait servi au malfaiteur (ou à la malfaitrice) pour s'enfuir. Le pilote, un honnête travailleur à la candeur désarmante, avait avoué n'avoir transporté personne la veille. Une femme se présentant comme une employée de Tyron Pumar l'avait payé pour qu'il embarquât à son bord un mannequin en plastique habillé en noir fixé à son échelle de corde, survolât la propriété et passât un rire préenregistré avec des baffles, afin de divertir la foule et les invités. Elle lui avait expliqué que l'histoire du Voleur d'Ombres n'était qu'une invention, un coup de pub pour faire grimper les prix des tableaux, et le pilote y avait cru. Sans le savoir, il avait fait diversion pendant que le vrai voleur pouvait tranquillement quitter la propriété sans être fouillé : la police, croyant leur suspect enfui, n'avait pas osé importuner davantage les invités de Pumar et affronter la colère de l'atrabilaire collectionneur
Les services de Cardoze faisaient tout pour qu'aucun media n'apprît la façon dont le criminel vedette les avait roulés dans la farine.
- Cette femme, qui a embobiné le pilote
, fit le commissaire. Cela confirmerait ce que vous avez
senti, Jacket.
- Oui, une femme
, songeâtes-vous en vous frottant la mâchoire. Je comprends pourquoi ses coups de pied m'ont fait si mal : ses bottes avaient des talons.
Vous ne mentionnâtes pas l'autre partie du corps qu'elle avait pris pour cible.
- Des talons ? s'étonna Châtaing. Et elle courait avec ?
- Vous avez pu la faire identifier par le pilote ? demandâtes-vous à Cardoze sans prendre la peine de répondre à l'inspecteur.
- Pas vraiment, hélas. Le bonhomme n'est guère physionomiste. Mes gars vont tâcher de lui faire faire un portrait-robot, mais j'ai peu d'espoir. Il l'a décrite comme mince, très maquillée, portant un ample manteau noir et un grand chapeau.
- Un manteau ample pour camoufler les formes et un chapeau à large rebord pour cacher le visage
, constatâtes-vous, pensif.
- D'après lui, sa couleur faisait peu naturelle. C'était une fausse rousse.
- Les vraies sont rares
- En parlant de fausse rousse, Mme Pumar nous a envoyé un message. Leur service de sécurité a fouillé leur propriété entière, y compris les bois, au cas où le voleur aurait été un invité qui aurait caché le tableau pour le récupérer plus tard.
- Vous pensez que le voleur serait un invité ? fit Châtaing. Ou
une invitée
- En fait, il ou elle avait plusieurs manières de s'introduire dans la villa, expliquâtes-vous. J'en vois cinq. Soit il ou elle faisait partie des invités, effectivement. Soit c'était l'une des serveuses.
- Difficile, intervint Cardoze. Les extras avaient tous été contrôlés au préalable, et aucun ne manquait à l'appel après coup. Nous avons commencé à vérifier : ils ont tous des alibis pour les précédents vols du Voleur d'Ombres. Aucun n'est suspect.
- Soit elle est entrée cachée dans la voiture d'un invité.
- Un complice ?
- Ou un distrait. Soit elle est entrée en s'accrochant sous le camion du traiteur.
- C'est possible, confirma l'inspecteur. Les vigiles ont dit qu'ils n'avaient fouillé que l'intérieur du véhicule. Et puis, quand Pumar a lâché ses chiens de chasse, ils ont foncé vers le camion du traiteur.
- Jacket était avec elle dans les bois, rétorqua le commissaire. La voleuse est peut-être seulement passée par l'entrée de service à l'aller, pas au retour. Ou elle a pu recourir à un leurre odorant pour tromper le flair des clebs. Le camion a été fouillé plus rigoureusement à sa sortie, non ?
- En fait non. Les vigiles ont cru que le voleur s'était enfui en hélico, alors ils l'ont juste inspecté vite fait.
- Quel imbécile, ce Pumar, de ne pas m'avoir écouté
!
- Soit enfin elle était cachée à l'intérieur de la villa depuis plusieurs jours, conclûtes-vous.
- Ça restreindrait la liste des suspects ! soupira Cardoze. Et ça lui aurait laissé le temps de placer ses bombes fumigènes.
- Un invité ou un serveur aurait pu, l'air de rien, les disposer vers le Notarangeli pendant la réception.
- En tous cas, la bougresse était une nouvelle fois au courant du piège qui était prévu. La cage. Il a détaché le tableau et a dû bondir juste à temps pour éviter d'être prise.
- Elle pouvait se douter d'un piège, mais pas de sa nature exacte. Peut-être l'a-t-elle décelé par simple analyse. Mais les convives l'auraient remarquée en train de regarder au plafond.
- C'est quand même dingue qu'elle ait encore appris notre plan ! Cette fois, les consignes n'avaient été données qu'à peu de personnes. Et en dehors de nos locaux. Et au dernier moment. Nous a-t-elle entendus sur place ?
Un moment de silence gênant s'installa. Aucun de vous n'osait répondre à cette interrogation. On entendait un grésillement de fond, la pluie qui tombait dehors. C'était l'une de ces matinées de printemps où les nuages noirs venaient rafraîchir l'atmosphère et donner l'envie de rester au lit. Châtaing décida d'aborder un autre aspect :
- Le Voleur d'Ombres s'est enfui avec le tableau. On peut donc exclure de la liste des suspects les personnes qui ont été capturées par la cage.
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À défaut, rendez-vous au 791.